Développement de l’autonomie et du leadership des femmes pour la democratisation

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Irak: Le Conseil de gouvernement irakien est parvenu à un accord sur la Loi fondamentale

L'islam ne sera pas "l'unique source de la loi", et la charia ne régira pas le statut de la femme.
L'Irak va avoir sa Loi fondamentale, première étape du processus destiné à mener le pays sur la voie d'une normalisation politique.

La Loi va régir le fonctionnement du pays jusqu'à la tenue d'élections, fin 2004, ou début 2005, et jusqu'à ce qu'un gouvernement élu puisse adopter une Constitution.



Les vingt-cinq délégués au Conseil intérimaire de gouvernement (CIG) sont parvenus, lundi 1er mars à l'aube, à un accord et la Loi fondamentale doit être signée mercredi, au lendemain du dixième jour de la fête religieuse de l'Achoura, qui doit réunir des centaines de milliers de chiites dans la ville sainte de Kerbala.



"La Loi fondamentale est achevée. Nous sommes parvenus à un accord. Il y a un consensus sur chaque point", a annoncé Entifad Qanbar, du Conseil national irakien d'Ahmad Chalabi. Ces derniers jours, les délégués ne parvenaient pas à résoudre les points les plus sensibles : le rôle de la charia (loi musulmane), le fédéralisme, la présidence, le statut de la femme... Les partis religieux islamiques souhaitaient que la charia soit "l'unique source" de la législation, une formulation à laquelle s'opposait le représentant américain, Paul Bremer, ou à défaut "la principale source" de la législation, tandis que les Etats-Unis et les partis! laïcs militaient pour une charia qui ne soit que "l'une des sources" de la Loi.



"LIBERTÉ RELIGIEUSE"



"L'islam sera une source de la législation et il n'y aura aucune loi contre l'islam", a finalement annoncé M. Qanbar. Cette formulation devrait rassurer un peu les laïcs et les chrétiens irakiens, et peut-être déclencher la colère des courants islamistes les plus radicaux, tel celui du jeune imam Moqtada Al-Sadr, qui avait promis "une révolte" chiite, au cas où M. Bremer s'opposerait à l'imposition de la charia.



L'envoyé de Washington s'est apparemment beaucoup impliqué dans les négociations, effectuant des allers-retours en coulisse entre les différents délégués irakiens, leur répétant qu'il n'accepterait "aucune Loi fondamentale faisant de l'islam la principale source de la loi" et qu'il utiliserait son droit de veto à l'encontre de tout article "antidémocratique".



Les Etats-Unis craignaient qu'une définition ! trop religieuse de la législation n'ouvre la voie à une future! République islamique à l'iranienne, désirée par certains mouvements chiites. "Nous reconnaissons tous que l'islam est la religion de la majorité du peuple irakien, mais la liberté religieuse doit exister pour tous, avait prévenu Paul Bremer. Les membres du Conseil de gouvernement doivent comprendre clairement ce que cela veut dire et adhérer à ces principes. Les Irakiens jouiront de la liberté de parole, du droit de réunion, de la liberté religieuse. Tous les Irakiens seront égaux devant la loi, quels que soient leur ethnie, leur religion et leur sexe."



Un autre chapitre de la Loi fondamentale a illustré les tensions entre laïcs et religieux : le statut de la femme. Adnan Pachachi, le chef laïc du Rassemblement des démocrates indépendants, souhaitait l'instauration d'un quota de 40 % de femmes dans les instances dirigeantes irakiennes. Sa proposition a été refusée par les islamistes. Mais les laïcs, soutenus par Paul Bremer, ont pris leur revanche en ann! ulant la loi 137, votée le 29 décembre, à l'instigation du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) d'Abdel Aziz Al-Hakim, qui abrogeait le code de la famille de 1959. Le CIG a annulé la loi 137 par quinze voix contre cinq et cinq abstentions, déclenchant la fureur des religieux du CSRII et de leurs alliés, qui ont quitté la table de négociations, avant d'y revenir quelques heures plus tard.



DEUX ÉCHÉANCES



Sur la question du fédéralisme, chère aux Kurdes qui jouissent d'une autonomie depuis les lendemains de la guerre du Golfe en 1991, le Conseil intérimaire de gouvernement a décidé... de ne rien décider. "Le Kurdistan continuera à être autonome jusqu'à ce qu'un gouvernement élu décide de cette question stratégique", a déclaré Entifad Qanbar. Le principe d'un certain degré de fédéralisme ne pose apparemment pas trop de problèmes aux chiites et aux sunnites, mais ceux-ci ne veulent pas accorder aux Kurdes l'extension géographique d! u Kurdistan qu'ils réclament, englobant notamment la ville de Kirkouk et ses champs pétrolifères voisins.



Ultime point très sensible, la question de la présidence du pays a divisé le CIG. Après avoir étudié la possibilité d'une présidence collégiale de trois à cinq membres, les délégués, encore une fois pressés par les Américains, ont finalement décidé que l'Irak sera dirigé par un président unique, épaulé d'un premier ministre.



L'adoption de la Loi fondamentale devrait relancer un processus politique qui avait été mal enclenché, avec l'accord signé le 15 novembre 2003 entre Paul Bremer et le Conseil intérimaire de gouvernement. Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan avait, la semaine dernière, recommandé d'oublier purement et simplement la plupart des chapitres de cet accord, jugé peu satisfaisant et trop compliqué par les Irakiens.



Tout le monde semble dorénavant d'accord sur deux échéances fondamentales : le transfert du pouvoir, c'est-à-dire la fin formelle de l'occupation américaine, le 30 juin et l'organisat! ion d'élections générales dans dix mois environ, en décembre 2004 ou janvier 2005.



La question qui reste en suspens est la nature du gouvernement qui dirigera l'Irak entre le 30 juin et les élections. Le CIG n'est pas parvenu ces derniers jours à un accord. Une annexe relative à ce sujet devrait être ajoutée prochainement à la Loi fondamentale, selon M. Qanbar. L'actuel Conseil intérimaire de gouvernement, nommé par Washington, n'ayant que peu de crédibilité aux yeux des Irakiens, un consensus pourrait se dégager sur un organe élargi.



Rémy Ourdan



ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 02.03.04