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France: Tension entre les différentes tendances

L’islam de France en crise.
Le Conseil musulman de France vient d’enregistrer une nouvelle démission en la personne du recteur de la mosquée de Lyon.

Le recteur de la Grande-Mosquée de Lyon, l'Algérien Kamel Kabtane, a annoncé jeudi sa démission de ses fonctions au Conseil français du culte musulman (CFCM) et de la présidence du Conseil régional du culte musulman (CRCM) Rhône-Alpes confirmant ainsi la crise qui secoue depuis quelques semaines l'instance représentative de l'islam de France.



“À mon grand regret, je dois constater que le CFCM pour lequel je me suis tant battu est en échec, aujourd'hui, nous ne servons plus à rien, je préfère me retirer plutôt que de jouer le pantin”, a-t-il déclaré, soulignant que “depuis un mois et demi, les instances légales du CFCM ne sont plus réunies”. Le CFCM “échappe à sa mission d'origine, qui devait se limiter aux affaires cultuelles. De plus, ces questions sont traitées uniquement au niveau parisien, en fonction d'enjeux dans lesquels ne se reconnaissent plus les musulmans”, a accusé le recteur. À la mi-septembre, ce sont les délégués de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur qui ont démissionné du CRCM pour protester contre “la politisation à outrance d'une instance religieuse”.



Le CFCM fondé il y a près de deux ans grâce à un forcing de l'ancien ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, obnubilé par le projet de contrôler “l'islam des caves” menaçant la sécurité en France, est en réalité paralysé depuis l'annonce par la Mosquée de Paris du boycott des élections prévues en avril 2005 pour le renouveler, sauf modification des règles électorales qu'elle juge défavorables. Outre la Mosquée de Paris proche de l'Algérie qui détient la présidence mais qui est minoritaire, le CFCM est composé de la radicale Union des organisations islamiques de France (UOIF) proche des Frères musulmans et de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), proche du Maroc.



Sa composante découle d'un mode d'élection inédit. Aux élections d'avril 2003, la Grande-Mosquée de Paris n'avait obtenu que 32 sièges à l'assemblée générale (six au conseil d'administration sur les 41 soumis au vote), la FNMF 44 (seize au CA) et l'UOIF 53 (treize au CA). Face à la difficulté de trouver des critères électoraux incontestables, le mode retenu était celui de la surface cultuelle correspondant à la taille des lieux de prière contrôlés par chacune des organisations.



Ce mode a tôt fait de montrer ses inconvénients en faisant la part belle aux activistes. Au lieu de représenter les musulmans de France dont l'écrasante majorité entretiennent un rapport apaisé avec la religion et le pays d'accueil, le CFCM est dominé par l'islam militant et politique dont les activistes fréquentent les mosquées plus assidûment que les croyants sans attaches politiques. Dès sa désignation, le CFCM avait suscité la méfiance de nombreux intellectuels musulmans et d'organisations musulmanes laïques.



Aujourd'hui, c'est donc la Grande Mosquée de Paris, incarnation de “l'islam des familles” qui se sent menacée par la domination des fondamentalistes. Sans modification du mode électoral, sa participation va se rétrécir en même temps qu'elle perdra la présidence “offerte”, grâce à un compromis, par les autorités françaises.



Ces dernières étaient soucieuses de garder dans un premier temps un certain équilibre pour ne pas hypothéquer d'emblée l'avenir du CFCM. Aux prochaines élections, le gouvernement français ne devrait pas intervenir. Ce qui va mener à coup sûr à une rupture de l'équilibre fragile et à la désignation d'une instance dominée par les fondamentalistes.



Paradoxalement, cette crise survient juste après que le CFCM eut réussi à se faire connaître auprès des Français grâce à son action dans l'affaire des journalistes pris en otage en Irak.



Tout en redorant le blason du CFCM, cette affaire a été un autre révélateur de sa fragilité. La Grande Mosquée de Paris a, en effet, protesté contre une visite de Mohamed Bechari, chef de la FNMF au chef historique du FIS, Abassi Madani, à Doha (Qatar).



Plusieurs délégués régionaux de la Grande Mosquée se sont réunis à Paris pour se dire choqués par des photos de Mohamed Bechari, président de la FNMF, et vice-président du CFCM, embrassant M. Madani. “M. Bechari va jusqu'au Qatar embrasser Madani, l'ennemi juré du peuple algérien pendant douze ans, c'est une provocation ! Comment voulez-vous qu'on travaille autour de la même table ?”, se sont indignés des délégués. Par ailleurs, le CFCM n'a même pas été capable d'annoncer d'une seule voix le début du ramadhan comme il l'avait fait l'année dernière pour la première fois alors que les musulmans de France suivaient jusqu'alors qui, son pays d'origine, qui son affiliation religieuse —l'Arabie saoudite pour les salafistes —, qui sa propre observation. Outre la volonté de ne pas laisser le premier rôle aux radicaux de l'UOIF, la crise semble cacher une rivalité algéro-marocaine pour le contrôle du CFCM. N'est-elle pas aussi le signe que la Grande Mosquée de Paris a raté son objectif d'encadrer les musulmans en France ? Dallil Boubekeur ferait peut-être mieux de revoir ses méthodes de travail au lieu de s'enfermer dans le rôle de la victime.



Par Yacine Kenzy – Liberté 16.10.04